En janvier 1993, Jean-Claude Romand a tué sa famille puis tenté de se suicider pour éviter d’avoir à faire face à la vérité. Après avoir vécu 17 ans dans le mensonge et dans la fraude, la soupe bouillait de plus en plus et Romand a entraîné ses proches dans sa chute. N’ayant pas réussi à se suicider il a dû faire face à un procès où ont été dévoilé ses 17 ans de mensonges. Jean-Claude Romand aura réussi l’exploit de faire croire à ses proches qu’il occupait un emploi important à l’OMS sans jamais avoir réussi à terminer son cours de médecine. Pour survivre, Romand fraudait sa famille en leur faisant croire à des placements très avantageux.

Le livre d’Emmanuel Carrère est particulier. Il ne s’agit pas d’un roman, ni même d’un récit, il s’agit plutôt d’un journal de bord. Emmanuel Carrère raconte comment cette histoire l’a habitée et comment il s’est senti le besoin, non pas de se substituer à la justice, mais de tenter de comprendre ce qu’avait vécu cet homme dont les mensonges ne cachaient rien. Le vide. Des journées à tourner en rond, à faire semblant de voyager et de vivre quand au fond sa vie n’était qu’un vide.

La mythomanie est un problème de santé mentale à la fois grave et insaisissable puisque le patient en vient à se confondre lui-même. Cet aspect est bien démontré dans le livre de Carrère où les maintes épisodes où Romand ne se rappelle plus de la vraie histoire sont troublants. L’ampleur de la maladie est aussi bien mise en lumière. Plus troublant, c’est cette maladie que personne ne reconnaît avant que le drame explose et ce même dans un entourage de médecins et de psychologues. Sa maîtresse, Corinne, sera même la seule à lui conseiller de consulter, mais sans vraiment se douter de l’ampleur du drame en devenir.

Emmanuel Carrère écrit divinement bien. J’ai trouvé le livre moins émouvant que le film, mais plus horrible. À la fois clinique et empathique. Je comprends la honte qu’Emmanuel Carrère a pu ressentir à tenter de se rapprocher de celui que tous considèrent comme un monstre, puisqu’on ressent aussi cette honte lorsqu’une certaine pitié nous vient en bouffée. Il ne s’agit pas tant de pardonner l’impardonnable que de constater les ravages de la maladie mentale et sa subtilité. Finalement, c’est un livre qui peur puisqu’il met en lumière la facilité avec laquelle une simple névrose peut basculer.

Par Catherine

Extrait :

Ces rêves éveillés peuplaient sa solitude. Le jour dans sa voiture, la nuit près de Florence endormie, il créait une Corinne qui le comprenait, le pardonnait, le consolait. Mais il savait bien qu’en face d’elle les choses ne pourraient pas prendre ce tour. Il aurait fallu, pour l’émouvoir et l’impressionner, que son histoire soit différente, qu’elle ressemble à ce que devaient imaginer les enquêteurs trois ans plus tard. Faux médecin mais vrai espion, vrai trafiquant d’armes, vrai terroriste, il l’aurait sans doute séduite. Faux médecin seulement, englué dans la peur et la routine, escroquant de petits retraités cancéreux, il n’avait aucune chance et ce n’était pas la faute de Corinne. Elle était peut-être superficielle et pleine de préjugés, mais il n’aurait rien changé qu’elle ne le soit pas. Aucune femme n’accepterait d’embrasser cette Bête-là, qui jamais ne se transformerait en prince charmant. Aucune femme ne pouvait aimer ce qu’il était en vérité. Il se demandait s’il existait au monde une vérité plus inavouable, si d’autres hommes avaient à ce point honte d’eux-mêmes. Peut-être certains pervers sexuels, ceux que dans les prisons on appelle les pointeurs et que les autres criminels méprisent et maltraitent.

couverture
Éditions Folio - 219 pages